Amir Wrapped 2024
Un regard sur la musique qui m'a accompagné cette année
Ce fut une année blanche sur la newsletter. Cette fois-ci il n’y a pas d’excuse, pas de blocage mental ou de perte d’inspiration, mais j’ai simplement refusé d’écrire. Ça ne me semblait pas important étant donné… tout.
C’est un ressenti qui changera sûrement à l’avenir, car l’intention derrière ce projet lorsque je l’ai démarré il y a bientôt quatre (4) ans était tout de même de me pousser à écrire plus souvent et de partager mes pensées avec vous. Je m’étais quand même interdit la moindre pression, mais je déteste l’idée d’abandonner cet endroit et d’en faire une page fantôme.
Néanmoins, cette année 2024 a été particulièrement compliqué lorsqu’il s’agit de justifier la création de quelconque contenu. Je suis plutôt allé chercher refuge sur les terrains de basketball qui sont apparus par magie à côté de chez moi, à retrouver mon jumpshot et mon dribble - le calme d’un terrain vide, la sensation du ballon entre mes mains, le son d’un filet qui fait swish, c’était ma thérapie.
Parlons un peu de vous : comment allez-vous ? Est-ce que vous arrivez à ne pas être déprimés ? Je me demande souvent comment on peut ne pas être déprimé et c’est une réflexion qui a été réanimée par Katie Nolan récemment. Je ne le pense pas dans un sens où j’envierais un tel état, mais par pure curiosité : comment, étant donné l’état des Choses™, est-ce qu’on peut ne pas être déprimé ?
Comme Nolan le dit si bien, c’est évidemment un symptôme de ma dépression et en aucun cas une glorification de l’état dépressif, mais ça reste un mystère pour moi d’évoluer dans un monde où il y aurait des gens non-dépressifs. C’est même un peu effrayant.
En tout cas, j’espère sincèrement que tout le monde se porte au moins modérément bien. C’est le cas pour moi, je tiens à le préciser. Il me fallait une intro pour ce post et c’est le sujet que j’ai choisi, on sait pas pourquoi, je n’ai pas d’éditeur, j’écris ce que je veux sans restriction et c’est la beauté de cette newsletter. Oublions tout ça le temps d’un post et d’une rétrospective sur une année 2024 qui aura été au moins un peu intéressante culturellement parlant.
J’ai remarqué en faisant ma sélection d’albums pour le top 10 que plusieurs artistes évoquaient le passage du temps à travers leurs textes, mais chacun à sa propre manière et avec son propre point de vue, ce qui a rendu leur interprétation très intéressante.
C’est aussi un sujet auquel j’ai aussi pensé cette année, sans forcément être anxieux ou complexé, mais plutôt dans un rôle d’observateur neutre. Plus le temps passe et plus les propos de Smash Mouth se vérifient - the years start coming and they don't stop coming.
Pas besoin de mentionner l’affreux travail de Sp*tify cette année sur son Wrapped, étant donné que ça a été produit quasiment intégralement par un robot très bête. On va juste se contenter de faire infiniment mieux qu’eux, comme d’habitude.
Year of the Hater
Il est impossible d’aborder le sujet de l’année musicale 2024 sans parler de Kendrick Lamar.
Plus spécifiquement, il est impossible de ne pas parler de la haine très intense et très publique qu’a démontré Kendrick Lamar envers Drake tout au long de cette année. Ça aura été un divertissement constant, une rivalité datant de plus de 10 ans qui a explosé sous nos yeux et qui a fait du rappeur de Compton le vrai Boogeyman du rap.
Sans vous refaire toute la chronologie de cette saga, parce que ça prendrait une éternité et on n’a pas une éternité, on peut revenir sur quelques moments clés de l’histoire.
Commençons tout de même avec le moment qui a officiellement lancé les festivités. Future et Metro Boomin invitent Kendrick sur leur album et il attaque direct. Pas question de tourner autour du pot, les références à Drake et même J. Cole sont nombreuses et deviennent progressivement plus explicites au fil du couplet. L’agression qui grimpe, le démon se réveille. Le mec se met à aboyer pendant le refrain, c’était déjà fini avant même que ça commence.
6 minutes et 23 secondes de destruction et ce n’est même pas la plus dévastatrice de l’histoire. Et il y a trois beat switches.
Yeah, fuck all that pushin’ P
Let me see you push a TEE
You better off spinnin' again on him
You think about pushin' me
L’enchaînement euphoria → 6:16 in L.A. → meet the grahams (sortie juste 30 minutes après la réponse de Drake avec l’instru la plus diabolique possible on le rappelle) → Not Like Us est tout simplement imbattable. Tout était calculé à la minute et au mot près.
L’humiliation totale sous forme de banger west coast. Mustard a sorti le beat le plus euphorique possible pour que tout le monde passe l’été à danser sur cette chanson et récite ces très belles paroles : “Certified Lover Boy? Certified Pedophile. WOP WOP WOP WOP WOP.”
Et en parlant d’été, Kendrick a bien évidemment saisi l’opportunité d’organiser un événement pour Juneteenth chez lui, pour sa communauté et ses proches… Mais aussi pour humilier Drake encore un peu plus.
La vraie haine, c’est de performer euphoria en ouverture de son concert pour la première fois sans aucune interruption, puis d’inviter tous ses amis sur scène, de jouer tous les hits de son catalogue, puis de lancer Not Like Us cinq (5) fois de suite pendant que le public récite chaque mot.
Là aussi, avec du recul, ça semble presque irréel. Tout le monde présent semblait prendre plaisir à crier “a-minoooooor” à répétition. D’ailleurs pour se donner une idée de la grandeur de l’événement, Tyler, The Creator est apparu en première partie juste pour une (1) minute avant de céder sa place aux multiples autres invités de renom qui attendaient leur tour sur scène.
Enfin, en conclusion de cette année légendaire pour Kendrick Lamar : la sortie de son album GNX.
Il n’y a pas de grand concept ici, plus rien à prouver comme sur good kid m.A.A.d. city, pas d’expérimentation comme sur To Pimp A Butterfly, pas de grand fil narratif comme sur DAMN, pas de pseudo thérapie comme sur Mr. Morale & The Big Steppers - GNX c’est du pur rap west coast avec des artistes west coast.
C’est aussi un tour de victoire gigantesque durant lequel il ne manque pas d’en rajouter. Après un printemps de hater et un été de célébration, il annonce désormais un automne-hiver de renouveau. Il se permet de flexer et de rappeler à tout le monde qu’il a bien gagné et qu’il va continuer de gagner en 2025.
GNX est un album né d’un sentiment profond d’aversion, mais c’est aussi une opportunité de nous faire découvrir des talents locaux comme Dody6 sur hey now ou AzChike (déjà aperçu sur Blue Lips de ScHoolboy Q) sur peekaboo, qui volent tous les deux la vedette à Kendrick.
C’est du rap décomplexé, avec des bangers comme le très attendu squabble up, plein d’onomatopées très fun auxquelles on commence à s’habituer avec K-Dot, mais il y a aussi quelques moments de faiblesse. Un morceau comme man at the garden peine à réellement porter la moindre émotion, tandis que dodger blue semble presque anecdotique. On n’est clairement pas là pour du storytelling, mais les limites d’un album de ce style s’imposent d’elles-mêmes.
Globalement, on peut dire que tout cela ressemble à un projet pris à la légère, une bonne dose de fun, le produit d’un moment spécifique dans le temps et non d’un grand concept pensé par Kendrick. Et ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais cela veut inévitablement dire qu’on placera GNX en-dessous des tous meilleurs disques de sa discographie.
Cela étant, en ce qui concerne le rap de cette année et la compétition autour, il y a très peu de prétendant au titre. Kendrick Lamar est indéniable.
Screen Time
Qui se souvient de cette rubrique ? C’était une bonne idée, on devrait s’y remettre un jour. Je vais mettre mon profil Letterboxd ici pour aucune raison particulière.
Beaucoup de films ont été vus cette année et beaucoup de films ont été appréciés. Cela inclut entres autres ma période Wong Kar-Wai, un retour obligatoire aux années 70 avec Elaine May, la découverte d’une comédie romantique improbable entre Cher et Nicolas Cage, ou encore mon exploration de l’univers de Wes Craven pour Halloween.
D’ailleurs, en parlant de Wong Kar-Wai, j’ai connu un grand moment de paix intérieure lorsque j’ai écouté Perfidia de Xavier Cugat plus tôt dans l’année, en traversant le pont Charles de Gaulle en direction de la Gare d’Austerlitz, le soleil dans les yeux, avec l’air du printemps qui approchait et je me suis dit que c’est peut-être pour ça qu’on avait des yeux et des oreilles.
Dans le même registre, je tiens à saluer : Los Indios Tabajaras, Sandy Lam pour sa reprise de Take My Breath Away de Berlin, Faye Wong pour sa reprise très compliquée mais très réussie de Dreams de The Cranberries, Nat King Cole et surtout Shigeru Umebayashi pour sa composition iconique du thème de In The Mood For Love qui joue en boucle dans ma tête depuis maintenant dix (10) mois.
Voilà, cette section s’appelle Screen Time et on passe encore trop de temps à parler de musique. Passons plutôt à un petit top 10 des films que j’ai vu pour la première fois cette année - et non “sortis cette année” parce que j’en ai peut-être vu trois (3) au total - et que j’ai beaucoup apprécié (ordre chronologique) :
A New Leaf (1971) - Elaine May
Two-Lane Blacktop (1971) - Monte Hellman
The Long Goodbye (1973) - Robert Altman
The President’s Men (1976) - Alan J. Pakula
Moonstruck (1987) - Norman Jewison
Chungking Express (1994) - Wong Kar-Wai
In The Mood For Love (2000) - Wong Kar-Wai
Perfect Days (2023) - Wim Wenders
Godzilla Minus One (2024) - Takashi Yamazaki
Good One (2024) - India Donaldson
Top Albums 2024
Comme toujours, on part sur un top 10 classique. Et parmi plus de 150 albums écoutés, il y aura des exclus. Les mentions spéciales avant de commencer :
Sonido Cósmico - Hermanos Gutiérrez
Here In The Pitch - Jessica Pratt
Something In The Room She Moves - Julia Holter
#RICHAXXHAITIAN - Mach-Hommy
My Method Actor - Nilüfer Yanya
Quelques EPs de qualité :
Sophcore - Moses Sumney
Catching Chickens - Nourished by Time
Wish You Were Here… - They Hate Change
Et quelques déceptions :
Loss Of Life - MGMT
Hole Earth - Toro y Moi
CHROMAKOPIA - Tyler, the Creator
Et maintenant, mon top 10 des albums de cette année 2024.
10. A LA SALA - Khruangbin
Khruangbin a déjà tout fait depuis ses débuts il y a plus de 10 ans, mais le trio texan composé de Laura Lee, Mark Speer et DJ Johnson continue de produire l’un des sons les plus originaux et envoûtants actuels. Sans plus grand chose à prouver, ils choisissent de retracer leurs pas et de retourner aux bases sur A LA SALA. Ici, pas question de réinventer leur formule, mais plutôt de nous rappeler ce dont ils sont capables.
C’est peut-être pour ce manque d’innovation que les critiques se sont plaintes, en s’en prenant à la régularité extrême du groupe et du fait que leurs projets s’enchaînent et se ressemblent (ce qui est faux). Mais pourquoi se plaindre de la régularité d’une telle excellence ? Ce serait comme se plaindre de voir LeBron James prendre la bonne décision avec le ballon dans ses mains. Ça n’a aucun sens.
On se fait emporter d’entrée par leur groove inévitable sur Fifteen Fifty-Three en introduction et on sent que c’est une atmosphère plus posée qui nous attend, plus contenue et réservée.
Les transitions de l’album sont un grand point fort et c’est le cas avec l’enchaînement sur May Ninth, qui introduit la voix apaisante de Laura Lee pour rythmer ce fort courant de nostalgie. Malgré la légèreté et la simplicité de l’instrumentation, il s’agit bien de l’un des morceaux les plus mouvementés de l’album.
Sur Ada Jean, la structure de Khruangbin prend une dimension plus cinématique. Après une séquence très réservée et monotone, on entend des pleurs et reniflements à partir de 2:05 qui apportent une dose subtile d’émotion. Le moment est transformé en quelque chose de très touchant et l’interprétation semble libre. On nous laisse visualiser l’histoire ayant pris place en clôturant le moment avec un fade out et des sirènes en fond.
Pour éviter de trop ralentir la cadence, Pon Pón fait son apparition en milieu d’album et réintroduit la voix de Laura Lee, ou plutôt ses chuchotements, accompagnée par un groove très fun et de la batterie de DJ Johnson qui se fait bien plaisir.
Et pour mieux comprendre le thème général, on ne peut qu’être charmé par le funk de Hold Me Up (Thank You), leur morceau avec le plus de texte de l’album et qui a tout l’air d’une ode à la famille. Cela rejoint par ailleurs l’explication de Laura Lee concernant le sens du titre A LA SALA, puisqu’il s’agit de ses propres mots depuis toute petite, lorsqu’elle souhaitait rassembler sa famille chez elle.
En fin d’album, un morceau grandiose nous attend et nous réserve une dernière surprise. A Love International rappelle l’énergie de Con Todo El Mundo (2018) et résume parfaitement la qualité du trio, ainsi que leur capacité à mettre un coup d’accélérateur si besoin. C’est funky, groovy, psychédélique et parfaitement construit pour nous offrir un crescendo magnifique à partir de la troisième minute. L’écho de la guitare, la voix distante de Lee, la progression de la batterie... C’est une chanson parfaite et c’est du classic Khruangbin.
A LA SALA n’est certes pas l’album le plus déjanté et frénétique de leur catalogue - il requiert une certaine patience pour pleinement se révéler à son audience. C’est un retour aux sources pour le trio texan, un exercice de contemplation très tranquille qui nous invite à nous poser chez nous, les fenêtres ouvertes avec une brise de vent qui transporte ces mélodies aériennes en toute douceur.
Et si ça ne saute peut-être pas aussi haut que LeBron époque Cleveland, mais que ça a le mérite d’être tout aussi expérimenté et lucide que LeBron version Los Angeles - ce qui est déjà mieux que 99% de la compétition - pourquoi s’en priver ?
9. Samurai - Lupe Fiasco
Il y a quelque chose de presque rassurant dans le fait de voir Lupe Fiasco continuer de produire des albums aussi créatifs et intéressants presque 20 ans après ses débuts sur Food & Liquor en 2006. Relativement à ses standards, Samurai est un projet court, presque à petite échelle, mais toujours aussi dense dans son contenu.
L’origine de son concept passe par Amy Winehouse et un rêve qu’elle raconte dans un message vocal destiné à son producteur, Salaam Remi. L’idée est très simple : elle deviendrait une samouraï qui serait également une battle rappeuse.
Cet alter ego devient l’élément central du single de Lupe - qui sert également d’introduction à l’album - où l’on peut l’entendre reprendre les propres mots de la chanteuse anglaise sur le refrain.
I got these, really neat
Very beautifully alliterated
Little battle raps for you
So come on through
Plus qu’un hommage, c’est la réalisation de toute une vision que le rappeur de Chicago entreprend à travers ce concept. Et pour faire les choses correctement, Lupe ne fera plus de référence directe à Amy au-delà de ce moment précis. Il préfère plutôt s’immerger pleinement dans cet univers construit entièrement par son imagination (ou presque).
Sur Mumble Rap, la protagoniste se découvre une passion pour l’art du rap et remporte même sa première battle. Puis sur Cake, les lignes entre fiction et réalité se brouillent légèrement, tandis que Lupe démontre un contrôle parfait de sa respiration et de sa cadence pour nous rappeler à quel point il maîtrise réellement cette discipline.
Accompagné par une production très posée de Soundtrakk, style boom bap aux influences jazz, il traverse donc les épopées de cette battle rappeuse samouraï au fil des morceaux, sans manquer de laisser en chemin quelques indices retraçant le fil de sa propre carrière.
L’équilibre de cet exercice est délicat, mais on joue volontiers le jeu tant que Lupe continue de rapper comme il le fait. On le sent dans la zone, ininterrompu et libre. On obtient d’ailleurs une autre démonstration de ses talents sur les 45 dernières secondes de Palaces, durant lesquelles il s’envole presque, tandis qu’il conte la réalisation de notre protagoniste de la réelle nature du monde du rap - une réflexion qui semble étrangement correspondre à la réalité de celle de l’auteur…
Les morceaux sur Samurai s’enchaînent, les allitérations, métaphores et autres figures de style aussi, et des questions sur l’origine de l’inspiration de ce projet se formulent progressivement. Bien que l’album ne retrouve pas totalement la même énergie que celle de son intro, on ne se plaint pas du fait d’assister à un récital de l’un des tous meilleurs de son genre (ever).
Et comme toujours avec Lupe Fiasco, si on ne s’attend pas à tout capter dès la première écoute - ni la deuxième, ni la troisième, ni la dixième - ça fait partie du charme et c’est ce qu’on attend presque de lui. On est là pour admirer son art, décrypter ses textes et profiter de ses très beaux raps.
8. Submarine - The Marías
Voici une sélection qui me surprend moi-même, puisque je n’ai jamais particulièrement été un grand fan de la musique de The Marías. Je n’ai jamais détesté non plus, mais il existe certains cas où je reconnais et j’accepte le fait de ne pas être l’audience visée par la musique produite et c’était le cas pour eux, jusqu’à cet album.
Pourtant, Submarine commence plutôt mal avec deux chansons qui ne sont pas du tout alignées avec l’identité du projet. Ride et Hamptons sont deux intrus, deux faux pas et honnêtement deux gros points d’interrogation. Et si c’est rarement bon signe d’ignorer des parties entières d’une œuvre, on peut se rassurer dès la troisième chanson - Echo - qui lance officieusement les festivités.
A partir de là, les hits s’enchaînent, les mélodies pop groovy et funky se succèdent avec brio et on se laisse porter par la voix de María Zardoya qui livre une performance de superstar. On note également une touche créative en lien avec la pochette de l’album : les effets sonores donnant l’impression de sortir la tête de l’eau, puis de replonger selon le tempo du projet. On passe de lo-fi à hi-fi très naturellement sans jamais s’en plaindre.
C’est par exemple le cas sur Run Your Mouth - a bop, a hit, a tune - qui pousse vers de la pop mainstream décomplexée, puis sur les morceaux qui suivent et qui se tournent plutôt vers un son plus modeste et décontracté (Real Life, Blur - qui ressemble à un clone de ce que pourrait produire Men I Trust - Paranoia).
Les deux seuls morceaux chantés en espagnol - Lejos de Ti et Ay No Puedo - sont instantanément mémorables et ralentissent la cadence le temps de quelques valses tranquilles. On pourrait presque croire que Ay No Puedo sort tout droit de l’univers bossa nova de Wong Kar-Wai, aux côtés de Los Indios Tabajaras et Xavier Cugat.
No One Noticed symbolise le pic de l’album, la dream pop par excellence, The Marías a leur plus émouvant et transcendant. C’est une balade classique, une histoire d’amour tragique qui se dirige calmement vers un crescendo irrésistible tandis que Zardoya implore son partenaire de la regarder dans les yeux.
Et pour une chute en douceur, on se retrouve avec If Only et son ambiance jazz club, l’introduction d’un piano poignant et d’une trompette solennelle, puis avec Sienna auquel je n’ai qu’un seul reproche à faire : trop court. Le build-up était en route, le groove était tellement bon, le riff de guitare si proche de l’explosion, il fallait bien 20 à 30 secondes supplémentaires pour faire justice à ce morceau. On aurait vraiment pu s’envoler.
Néanmoins, l’ensemble de Submarine reste de très grande qualité en tant que tel. The Marías parviennent à proposer cette variance et ce changement de tempo qui leur manquait peut-être lors de leurs débuts en 2021, voire même sur leurs deux EPs en 2017 et 2018. La construction de leurs mélodies est plus patiente, plus mature. On nous offre de la pop grandiose avec des performances vocales très charismatiques et une instrumentation de haut niveau.
7. My Light, My Destroyer - Cassandra Jenkins
Avant de sortir An Overview On Phenomal Nature en 2021, Cassandra Jenkins était prête à quitter l’univers de la musique - ou du moins à ne plus essayer d’en faire sa carrière. Fort heureusement pour elle et pour nous, son deuxième album était un grand succès et lui a permis d’y croire à nouveau.
Avec My Light, My Destroyer, la chanteuse new-yorkaise reprend les bases de son précédent projet et démontre une approche sonore plus épanouie en y ajoutant une touche un peu plus pop-rock, comme c’est le cas sur Clams Casino avec une batterie plus raisonnante ou sur Aurora, IL et Petco avec une guitare électrique qui ne demande qu’à se déchaîner.
On remarque l’approche plus ambitieuse de Jenkins dès Delphinium Blue, une chanson plus développée que ce qu’elle a pu faire par le passé et bien plus remplie. Sa voix reste très assurée et paisible au milieu des chœurs et des synthés qui l’entourent. C’est surtout quand elle plonge dans un ton plus grave - comme elle le faisait déjà avec ses consignes sur Hard Drive - que le caractère du morceau se révèle.
Comme à son habitude, Jenkins s’appuie surtout sur ses liens avec ses proches pour bâtir les fondations de sa musique. Sur Betelgeuse, elle partage avec nous un nouveau passage de vie, ici aux-côtés de sa mère qui décrit avec émerveillement le ciel étoilé qui se présente à elles.
I just read that there was an asteroid the size of a skyscraper
That, on Saturday night, went between the Moon and the Earth
“Did we see it?”
Somebody did
Cela semble presque anecdotique comme échange, mais c’est tellement humain et ancré dans un moment de complicité qu’on ne peut y être indifférent. Peu après, les mots de sa mère se font emporter par un doux piano et un saxophone très sobre pour nous mener vers Omakase, l’une de ses chansons les plus tendres et saisissantes de l’album.
Jenkins y fait le lien entre l’astronomie qui la fascine tant et sa propre solitude comme elle seule sait le faire, avec grâce, en très peu de mots et surtout avec ses passages plutôt parlés que chantés. À travers tous ses récits et choix stylistiques, c’est bien sa voix qui sert de point d’ancrage à l’album, sa performance vocale demeurant nuancée et efficace à chaque instant.
An Overview On Phenomenal Nature ressemblait pleinement à un exercice thérapeutique, à une pause dans le temps pour se reformer et se retrouver. My Light, My Destroyer est l’étape suivante, celle qui consiste à réintégrer le monde et aller de l’avant, sans forcément oublier ses expériences passées.
Cassandra Jenkins nous offre ici un album atmosphérique, immersif et somptueux. Ses chansons proviennent d’une artiste qui sait prendre son temps pour admirer ce qui l’entoure et qui nous invite à faire de même, de lever les yeux afin d’observer les constellations et d’apprécier la nature précieuse de nos relations avec nos proches.
6. In Waves - Jamie xx
Neuf ans après In Colour, Jamie xx effectue son retour tant attendu avec In Waves, un projet qui n’accomplit pas la tâche impossible d’atteindre les mêmes hauteurs que son prédécesseur, mais qui parvient plutôt à s’en détacher pour produire des moments excitants, intenses et même touchants.
Avant même que l’album ne sorte, son éclat avait peut-être légèrement été affecté par le fait d’avoir révélé pas moins de six (6) singles séparément. Cela étant, une fois la machine lancée, il aura été difficile de résister au vibe du producteur britannique. Il nous aura même réservé quelques (décevantes) surprises, puisque ses titres KILL DEM et It’s So Good n’ont pas fait partie de la tracklist finale.
Au niveau de la production, on demande presque l’excellence avec Jamie xx et c’est ce qu’on obtient ici. Les build-ups, les drops, les transitions… et surtout : les samples ! Tant bien soul que funk, voire disco, ses emprunts servent à guider l’histoire de l’album et l’ensemble se marie parfaitement bien.
C’est d’ailleurs Dafodil qui témoigne de sa créativité, puisqu’il nous présente deux versions d’une même chanson : d’abord I Just Make Believe (I’m Touching You) de J.J. Barnes en première partie, puis Touching You d’Astrud Gilberto insérée à partir de 2:01 pour donner le kick nécessaire au morceau - on salue d’ailleurs un excellent passage de John Glacier. L’échange de version passe quasi inaperçu tant la cadence robotique des samples peut nous hypnotiser, mais c’est excellement exécuté.
D’ailleurs, l’histoire de l’album, au-delà de sa très bonne production et du fait de faire danser tout le monde, quelle est-elle ? Le thème paraît assez évident sur une chanson comme Treat Each Other Right, dont l’utilisation de Oh My Love d’Almeta Lattimore est très appropriée. Ou peut-être sur Waited All Night, où l’on note la romance désespérée pour laquelle The xx sont si réputés. C’est un temps fort évident que l’on regrette presque de vivre aussi tôt dans l’album, avec les deux valeurs sûres Oliver Sim et Romy.
Le contrecoup d’un début aussi fort se fait légèrement ressentir en milieu d’album, lorsqu’on semble passer en mode autopilote et qu’on sent une distance se former entre la musique et l’audience. Le temps passe et on se perd dans ces fréquences et ces ondes qui se forment autour de nous, sans forcément encore chercher à nous toucher.
Cette impression n’est pas aidée par la feature étrangement raté de Robyn sur Life, qui manque d’une âme nécessaire pour en faire un vrai hit (alors que le beat est pourtant très entraînant). On reste fixé dans cette zone de “bien mais pas excellent”, à attendre le déclic. Heureusement pour nous, l’album trouve un second souffle et scelle réellement l’affaire à partir de Breather et son drop à 3:35.
Tout prendre forme dans cette dernière section de l’album, la collaboration avec The Avalanches sur All You Children est un succès irrésistible qui permet à Jamie xx d’enchaîner avec son propre petit interlude sympathique - Every Single Weekend - qui rappelle le charme nostalgique de Since I Left You du groupe australien.
Et enfin, on termine superbement avec Falling Together et Oona Doherty. Accompagnée d’un beat cosmique, c’est son speech très puissant qui sert de point final à In Waves. Ses mots pourraient être clichés dans 99% des cas, c’est un discours de fin de soirée - même de fin de parcours si on veut être dramatique - un raisonnement centré autour de la bienveillance et du fait de profiter du moment que l’on connait tous, mais ça marche inexplicablement ici.
Peut-être que c’est la production de Jamie xx ou peut-être que ce sont mes émotions qui me jouent des tours… Mais c’est beau et ça marche et ça raisonne en moi.
Arch up, look up
To where we were, where we are
Nothing to do, but to treat and be treated with kindness
Preserve one another and cherish, cherish the pale blue dot
Là où In Colour pouvait sembler chaleureux et coloré en invitant tout type de genre à se joindre à la fête - In Waves paraît au contraire plus distant, à la fois dans ses choix de production que de l’utilisation des features et des voix. Ici, on se concentre beaucoup plus sur l’aspect house d’une soirée déjà entamée. In Colour était la journée ensoleillée, In Waves annonce la soirée interminable.
5. Nobody Loves You More - Kim Deal
Cela semble presque anormal de ne réellement découvrir Kim Deal que maintenant, à l’occasion de son premier album solo à l’âge de 63 ans, après tant de temps passé avec Pixies et The Breeders. Mais c’est peut-être aussi étrangement approprié.
Nobody Loves You More a tout d’une (ré)introduction formelle, d’une démonstration de ce dont la musicienne de Dayton, Ohio a toujours été capable derrière sa basse et ses multiples projets de groupe. Pour ceux qui n’auraient jamais prêté attention à son travail auparavant - comme moi qui n’a réellement découvert Deal que cette année juste avant la sortie de son album - ou qui auraient souhaité en entendre plus de l’autrice de Gigantic (1988) : c’est le moment rêvé.
Il s’agit ici d’un projet né de drames personnels, d’un voyage vers la sobriété et des relations dysfonctionnelles - tout cela selon ses propres mots - dont la composition a commencé dès 2012 lorsque Kim Deal sortait des chansons sous son nom pour la toute première fois de sa carrière (Walking with a Killer, Dirty Hessians).
Son premier album solo est riche en idées, en instrumentation et en mélodies, à l’image du titre éponyme où l’on y entend ses influences rock évidemment, mais auxquelles elle ajoute un orchestre glorieux. C’est la voix de Deal qui ouvre la danse et donne le ton d’entrée, accompagnée d’un très beau violon. On l’entend tendue et presque frêle avant qu’un saxophone et trompette ne fassent leur entrée pour la porter plus haut.
Sur Coast, on la sent fidèle à sa réputation aventurière et intrépide - tant bien dans sa volonté d’explorer de nouvelles sonorités que sa mentalité. C’est un trombone qui débute le morceau, avant que Deal n’annonce fièrement ses intentions avec une touche d’humour et d’autodérision.
I've had a hard, hard landing
I really should duck and roll out
Out of my life
Il est impossible de résister à cette ambiance surf rock et une personnalité si forte et charmante, donc on se laisse porter par la vague ainsi qu’un grand sens des mélodies. On remarque l’expérience d’une excellente songwriter qui sait prendre son temps et laisser une chanson respirer, puis sa capacité à changer de ton subitement sur le morceau suivant, Crystal Breath, qui s’engage dans un style opposé et beaucoup plus grunge avec une instrumentation très saturée.
Le cœur du projet se trouve sur Are You Mine? - dont une première démo avait été sortie en 2013 - faisant référence à sa mère souffrant de la maladie d’Alzheimer depuis 2002 et dont elle s’est occupée jusqu’à son décès en 2020. La question “are you mine?” sur cette ballade prend une dimension bien plus déchirante et tragique en connaissant l’histoire de Deal, tandis que l’instrumentation continue d’être finement choisie pour amplifier des moments clés de sa vie.
La grande force de cet album se situe dans son charactère chaotique et imprévisible. Tout est maîtrisé, mais on ne sait jamais vraiment où la chanteuse ohioenne veut nous emmener. Elle est capable d’ajouter une touche de rébellion et nous montrer le fond de son garage comme sur l’irrésistible Disobedience, ou bien nous emmener sur une plage paisible avec son ukulele et réussir l’exploit d’en utiliser un correctement en 2024 sur Summerland.
I'm not even tired / This world's for me
I waited all day / It was thrilling
I watched the sun drop / In the sea
It's dazzling
Sur ce morceau comme sur l’intégralité de Nobody Loves You More, Kim Deal nous fait part de sa relation entièrement décomplexée avec le temps passé - elle est presque admirative de sa propre énergie et de la beauté de ce qui l’entoure. Elle partage avec nous le chemin qu’elle a parcouru, mais aussi celui qui lui reste à parcourir. Elle en a encore à voir, encore à produire et surtout à vivre.
4. Patterns in Repeat - Laura Marling
Après son très bel album Song For Our Daughter sorti en 2020 - destiné à l’époque à sa fille imaginaire - Laura Marling continue d’explorer son propre vécu et d’en tirer des leçons pour sa fille - désormais réelle depuis 2023 - qu’elle retranscrit de manière captivante et avec une élégance saisissante sur Patterns in Repeat.
D’entrée, l’ambiance semble très intime et paisible. On entend les bruits de son enfant en ouverture sur Child Of Mine, puis sa guitare et sa voix. La chanteuse originaire de Hampshire est accompagnée de quelques arrangements très fins et de chœurs qui raisonnent autour d’elle, mais il ne lui en faut pas beaucoup pour transmettre son message plein d’amour.
Last night in your sleep you started crying
I can't protect you there, though I keep trying
Sometimes you'll go places I can't get to
But I've spoken to the angels who'll protect you
Au-delà du caractère folk très approprié de l’album, c’est l’écriture de Marling qui maintient notre attention. Ce sont ses choix de mots, ses mélodies pleines d’élégance et les thèmes qu’elle aborde - comme le passage du temps sur Patterns et le concept même de “patterns” qui la relie inévitablement à sa fille - qui produisent des récits très beaux et méditatifs.
L’histoire de Caroline dévie un peu du sujet principal, mais on y trouve le thème d’une romance passée, où les lignes entre fiction et réalité sont plus floues qu’ailleurs. Il y a un poids destructif dans les mots très calmes de Marling, malgré toute la sérénité que l’on ressent dans sa voix.
I’d like you not to call again
I’d like to keep you off my mind
You’re the one who went away, Caroline, so
The song was forgotten over time
“I’d like you not to call again” est une ligne dévastatrice, mais c’est aussi le refrain très simple qui sert à véhiculer ses émotions. Ses souvenirs sont tellement lointains qu’elle ne se souvient plus de la chanson en question. Il y a tout un tas de souvenirs et de vécu dans ce petit “la-la-la-la, la-la-la-la-la, la-la - something something Caroline”, mais aucun regret de sa part.
En fin d’album, Patterns In Repeat sert de boucle parfaite pour en revenir au thème principal de l’album. De nouveau adressée à sa fille, cette chanson à l’atmosphère presque figée dans le temps est une autre magnifique déclaration d’amour, tandis que la guitare de Marling nous enchante et qu’on se laisse bercer volontiers par ses fredonnements.
Cet album très intime et sentimental a tout du son d’une artiste qui a atteint un état de plénitude total. Il existe tellement d’histoires contenues dans l’approche minimaliste et restreinte de Laura Marling qu’on ne souhaite que replonger dans Patterns In Repeat pour en savoir plus, pour en entendre plus et profiter de nouveau de ses mélodies si belles.
3. The Sunset Violent - Mount Kimbie
Originellement orienté dubstep-électro à leurs débuts en 2008, le duo londonien composé de Dominic Maker et Kai Campos - appelé Mount Kimbie - a parcouru beaucoup de chemin pour en arriver à The Sunset Violent.
D’un remix de l’un des tout premiers morceaux de The xx avec Basic Space, à des collaborations avec James Blake et King Krule, en passant par plusieurs projets studios en compagnie de divers artistes, Mount Kimbie semblait se chercher depuis longtemps. Ce sont d’ailleurs deux de ces artistes ayant contribué à la réalisation de Love What Survives (2017) qui seront rappelés et invités à pleinement contribuer à ce nouvel album.
En effet, Andrea Balency-Béarn (claviers, chant) et Marc Pell (batterie) - annoncés officiellement en tant que membres du groupe à l’occasion de la sortie de The Sunset Violent - permettent au collectif d’adopter une formule de groupe de rock classique à quatre membres et de prendre un virage indie-rock, voire même post-punk.
(NDLR : tout est post-punk aujourd’hui semble-t-il, mais là ça colle vraiment. Ce n’est pas par plaisir que ce terme est utilisé. On espère ne plus avoir à l’utiliser par la suite. On s’excuse même un peu de l’avoir utilisé.)
Que ce soit en introduction sur The Trail et son ambiance shoegaze inlassable, comme sur Dumb Guitar et ses cordes bien grattées et saturées guidées par la voix imperturbable de Balency-Béarn, cette nouvelle version de Mount Kimbie dégage une énergie contagieuse.
I really should just think it out
I'm falling down another slope (oh, no)
It's run away or turn it 'round
Just wake me up next summer, man
Il y a une certaine nonchalance qui se dégage de cet album, une désinvolture à laquelle on s’identifie assez facilement et qui joue clairement en faveur de la musique. On se laisse porter volontiers par ce courant et on enchaîne les titres.
Shipwreck est une autre réussite qui rappelle étrangement Joy Divison, avec une attitude aussi stoïque et presque détachée. Ils y ajoutent leur propre kick à partir de 2:50, avec des guitares lourdes qui dominent le moment et un riff qui se prolonge pour notre plus grand plaisir. Ils sont dans une zone totale, comme une bande qui a joué ensemble depuis toujours.
Plus loin sur l’album, Fishbrain retrouve cette même attitude impassible grâce aux mots de Dominic Maker, qui sont plutôt parlés que chantés. On sent son regard figé vers l’horizon, pensif et sombre, jusqu’à l’intervention de Balency-Béarn dont le ton de voix fonctionne en parfait contraste avec celui de Maker. C’est un hit indéniable, le son de journées d’été qui nous échappent et nous filent sous les yeux.
In late July, the days roll by
And I let 'em go
I think I've been born again
My head feels different now
Sur le dernier titre du projet, c’est l’invité d’honneur qui est chargé de clôturer l’album : King Krule himself. Il était déjà apparu plus tôt, fidèle à lui-même sur Boxing avec son éternelle humeur dark et dépressive, mais le voici sur Empty and Silent plus ouvert, plus accessible et même plus rythmé (sans pour autant être joyeux attention).
Son timbre de voix si unique fonctionne parfaitement lors de cette conclusion de six minutes très romantique et dramatique. Krule est résigné, vide, tandis que la voix de Balency-Béarn l’entoure et le porte jusqu’au bout. En arrière-plan, la batterie de Pell est l’ancre du groupe, une présence fiable et solide à travers l’intégralité du projet et qui brille particulièrement ici.
Finalement, The Sunset Violent se résume assez facilement : c’est de l’excellente musique par d’excellents musiciens, inspirés par l’arrivés d’autres excellents musiciens et avec une excellente pochette d’album.
Le format est idéal - 9 chansons pour 37 minutes - et on nous en donne suffisamment pour ne jamais s’ennuyer et en redemander. Les guitares se font si bien entendre, elles sont si crunchy et satisfaisantes, les performances vocales mémorables et il y a des bangers, des hits, des jams et tout autre synonyme pour ce qu’on peut qualifier de chansons très réussies.
2. Diamond Jubilee - Cindy Lee
Non disponible sur certaines plateformes de streaming à la demande de l’artiste, Diamond Jubilee n’existe qu’en format digital sur le site web de Patrick Flegel - site à l’apparence très DIY, très année 2000 - ou sur Bandcamp/YouTube ou autre recoin d’Internet aujourd’hui devenu très sombre. Autant dire que c’est un OVNI dans cette ère de streaming absolu, une anomalie, une énigme ou peut-être juste un rappel de ce qu’était la musique avant le monopole des plateformes comme Apple et Spotify.
À la fois un nom de scène et le nom du projet musical en question, Cindy Lee produit ici un double album très dense servant de voyage temporel à travers plusieurs époques comme le rock and roll des années 50-60 ou la country américaine éternelle du 20e siècle, tout en y ajoutant leur touche moderne de pop psychédélique lo-fi pour créer un ensemble hantant et mystérieux.
On se perd facilement à travers ses 32 chansons et deux heures de musique, mais Diamond Jubilee donne cette impression magique d’avoir retrouvé d’anciennes cassettes oubliées au fond d’un tiroir et qu’on découvre à nouveau.
Ce sentiment de familiarité est logique, étant donné les divers genres musicaux explorés par Flegel, mais on ressent un certain malaise se former au fil de l’expérience, comme si quelque chose ne correspondait pas forcément aux souvenirs qu’on avait de ces vieilles cassettes et des époques traversées, comme si les notes n’étaient plus tout à fait les mêmes, les voix plus aussi claires, l’histoire plus aussi fiable…
I Have My Doubts en est l’exemple parfait, avec la voix fantomatique de Lee et cette guitare presque mal ajustée qui persiste en fond. Ce qui avait démarré comme une slow dance très relaxante se transforme en quelque chose de très stridant au bout d’une minute et on sent que tout peut s’écrouler à tout moment. On ne danse plus, mais on se fige, on observe et on se questionne.
Diamond Jubilee parvient à être déroutant, notamment grâce à la manipulation de la voix de Flegel, ses transitions à la fois brutes et naturelles, ses tonalités discrètes mais bruyantes, calmantes mais aussi inconfortables. Et puisque c’est aussi long et hypnotique, on s’y perd très facilement. On s’y habitue, on s’y prend et on apprend à apprécier cette interprétation de genres musicaux qui traverse les époques avec brio.
En deuxième partie d’album, Government Cheque se présente comme l’une des toutes meilleures chansons du projet mais aussi l’une des plus accessibles. C’est impossiblement mélancolique et nostalgique, avec une voix de nouveau rêveuse mais pleine de peine, tandis que les mêmes phrases sont répétées en boucle et que le tempo s’accélère progressivement en fond.
Ces moments dramatiquement beaux sont répandus partout à travers ce colossal double album de Cindy Lee (Kingdom Come, Don’t Tell Me I’m Wrong, il y en a trop pour toutes les nommer). Et si ça peut paraître trop long, voire même intimidant, le voyage en vaut le coup, ne serait-ce que pour le plaisir de remarquer de nouveaux détails ou de réussir à recomposer l’histoire qui nous est contée après chaque écoute.
On peut voir Diamond Jubilee comme une sorte de chaîne radio qui nous transporte de décennie en décennie, ou bien comme l’exploration d’une époque révolue, d’un rêve qu’on nous aurait vendu mais qui semble désormais inaccessible.
1. Imaginal Disk - Magdalena Bay
Que se passe-t-il lorsqu’on insère un CD dans le cerveau de quelqu’un ? C’est la question à laquelle Magdalena Bay, le duo composé de Matthew Lewin et Mica Tenenbaum, tente de répondre sur Imaginal Disk.
Pour y parvenir, Lewin et Tenenbaum vont monter le volume à fond, maximiser tous les aspects sonores possibles de leur musique et se lâcher à travers 15 morceaux qui serviront d’exploration approfondie du genre “pop”. Dance-pop, électro-pop, hyper-pop, indie-pop, pop-rock, synth-pop… Tout type de pop est possible et rien n’est hors limites.
On comprend d’entrée sur She Looked Like Me! que le duo floridien est capable de changer le cours d’une chanson en un instant lorsque la voix de Tenenbaum se fait percuter par un glitch de drums à 0:50 - puis sur Killing Time, lorsque ce qui s’annonçait être une simple petite mélodie sympathique se transforme soudainement en une sorte d’opéra-rock épique à partir de 2:38.
Que ce soit pour compléter un son déjà lancé, l’interrompre ou le guider dans une direction opposée, cet ajout d’élément imprévisible se produit de façon récurrente à travers l’album. Cela étant, Magdalena Bay ne se repose pas seulement sur le facteur de choc pour compléter ses chansons. Bien au contraire, il est presque surprenant de voir à quel point ils peuvent être patients sur certains de leurs compositions.
Sur Image, le duo fait sa meilleure imitation de Kylie Minogue et assume pleinement son identité dance-pop et électro-pop. Il s’agit sûrement de l’une des chansons les plus directes et “simples” de l’album. Pas de tournant ou de surprise ici, même s’ils ont quand même pris la peine d’y ajouter de grosses drums bien saturées vers la fin.
L’utilisation de la distorsion, de la reverb et de la saturation est évidente sur Imaginal Disk et ils n’hésitent pas à s’en servir pour amplifier la voix de Tenenbaum - comme sur Death & Romance et son histoire très gothique ou Love Is Everywhere qui est au contraire plutôt funky.
Sur Vampire in the Corner, une chanson tragique sur les sentiments refoulés, ils choisissent au contraire de noyer sa voix dans l’instrumentation à l’approche du point culminant pour accentuer cet effet de solitude et de perte de contrôle. Cela rend quelque chose de très beau et hantant, alors que le beat continue discrètement et produit une transition très cool vers Watching T.V.
Ici, on se retrouve confronté à nos démons, dans un univers que Tenenbaum explore accompagnée par des synthés scintillants. Elle a le charisme, l’intonation, la cadence parfaite pour raconter cette histoire et entretenir ce sentiment de paranoïa.
Look out, behind you
The shadows are near
They know what's been wrong with you
All these years
It's time to meet
The monsters around you
Ce qui était précédemment un glitch sur l’instrumentation devient maintenant un glitch sur sa propre voix de 3:26 à 3:40. C’est un cri, un hurlement d’un être pris au piège et qui tente de s’échapper.
L’histoire d’Imaginal Disk pourrait facilement être reléguée au second plan par sa production si forte et imposante, mais ses textes cryptiques et existentiels lui donnent aussi un charme indéniable. On remarque cela en fin d’album, sur Cry For Me, où l’écriture et l’instrumentation se rejoignent pour créer un moment grandiose.
Dès ses premières secondes, on remarque une basse magnifique qui pourrait sortir tout droit de Currents de Tame Impala, puis un groove-disco digne des meilleures années d’ABBA survient et transforme le moment. C’est le point culminant du projet, l’aboutissement de cette exploration de tout genre de pop, la création parfaite de Magdalena Bay.
Fate, lead me astray
Take me whole and wash me away
All along, there was a story
Spare me all the allegories please
Imaginal Disk déborde de moments de créativité pure, de prises de risques fantastiques et d’hommages à la pop passée tout en cherchant à innover. On ne sait toujours pas ce qu’il se passe lorsqu’on insère un CD dans le cerveau de quelqu’un, mais Magdalena Bay dispose d’un classique instantané avec lequel on pourrait faire le test.
Bonus Playlist
Après mes albums favoris, voici mes chansons préférées de l’année sous forme de playlist avec 50 morceaux classés par ordre chronologique.
Et c’est tout pour ce Wrapped 2024 !



